En savoir plus sur le mythe du Bon Sauvage ( approfondissement)
La vision idéalisée de l'indigène par Victor Hugo relève du mythe du Bon Sauvage.
Le mythe du bon sauvage, qui s’est constitué suite à la découverte de l’Amérique, est l’idéalisation des hommes vivant en contact étroit avec la nature. Il répond, entre autres, à la quête de nouvelles valeurs du 18e siècle ainsi qu’à son fougueux débat opposant « nature » et « culture ». Associé à la période de grands bouleversements de la Révolution industrielle — réorganisation sociale, développement technologique, productivité, propriété privée, etc.… — il représente un havre de paix pour toutes les âmes agitées par un futur incertain. Vivre en d’autres temps, en d’autres lieux où paix et bonheur sont assurés par une Nature bienveillante, voilà ce que propose le mythe du bon sauvage dont l’expression même, très éloquente, mérite qu’on s’y attarde. En effet, qu’est-ce qu’un « mythe »? Mais surtout, qu’est-ce qu’un «bon sauvage» ? Les réponses à ces questions nous permettront de mieux approcher cette utopie des Lumières qui, malgré les siècles passés, fait rêver encore aujourd’hui.
Qu’est-ce
qu’un « mythe »?
Chez les peuples anciens, le mythe a pour fonction d’expliquer soit les origines du monde, soit les phénomènes naturels énigmatiques. Ainsi, pour les Grecs, la naissance de notre univers s’illustre par l’union d’Ouranos et Gaïa, incarnant respectivement le ciel et la terre; le phénomène de la foudre, lui, qui terrifie le commun des mortels, s’explique par le dieu de la Lumière, Zeus, qui décharge sa colère par des lances enflammées dirigées contre la terre. Ce type de récit, qui présente des forces et des personnages symboliques, servira aussi à mieux raconter la vie des hommes et à mieux rêver d’un ailleurs pour fuir l’écrasante réalité. Au XVIIIe siècle, par la fiction du « bon sauvage », des philosophes tels que Diderot, Voltaire et Rousseau chercheront non seulement à critiquer la colonisation ethnocentrique des Européens en Amérique, mais aussi les idées de progrès et de raison au cœur même de l’idéologie des Lumières. Inspirés par les nombreux récits de voyages de Vespucci, Colomb, Magellan, et Gama des 16e et 17e siècles, ceux-ci, désireux de poursuivre la tradition humaniste de la Renaissance, interrogeront à travers elle de nouveaux modèles d’hommes et de sociétés. En comparant leur monde à celui des indigènes tahitiens, brésiliens, voire canadiens, ils feront le procès de l’Europe qui, se croyant supérieure et indépassable, se donne pour mission de civiliser le Nouveau Monde. Ce Nouveau Monde, que l’on aime dépeindre comme pur, vierge et bienheureux, sera bien sûr une représentation déformée, imaginée et amplifiée de la réalité : en effet, la vaste majorité des philosophes et littéraires n’a jamais même foulé la terre natale des « sauvages »! Le mythe, synonyme dans ce cas d’invention et d’affabulation, reprend donc ici tout son sens.
Qu’est-ce qu’un «bon
sauvage»?
Le « bon sauvage » est le fruit de l’imaginaire de tous les grands lecteurs des récits de voyages qui foisonnent à partir du 16e siècle : il est, en quelque sorte, un personnage composite fait à partir des nombreuses descriptions des hommes primitifs vivant dans un « âge d’or » naturel : Dieu est révélé par la Nature, croyait-on; par conséquent, l’être naturel est foncièrement bon. Mais d’où pouvait donc provenir une telle croyance? Cette vision des « sauvages » a longtemps été nourrie par des explorateurs et des missionnaires encore habités par l’illusion d’un paradis perdu. En effet, nombreux sont ceux qui ont chéri les propos d’Amerigo Vespucchi (1454-1512) sur les Indiens que l’on retrouve, ici, dans sa célèbre lettre intitulée Mundus novus (1503) :
Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont
aucun besoin; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs
à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre
maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît […]. Ils n’ont ni temples,
ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus? Ils
vivent selon la nature.
Libres, sensuels, polygames, communistes et bons, voilà les traits communs, mais combien caricaturaux, des habitants de ce « meilleur des mondes ». Étrangement, les penseurs du XVIIIe siècle se garderont longtemps de vouloir vérifier l’exactitude de ce genre de témoignage, car, on le sait, le « bon sauvage » ainsi présenté sert mieux à réfléchir sur l’homme, sa nature, ses facultés ainsi que sur sa société. Sans nul doute, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est reconnu pour celui qui a le plus participé à ce mythe par la défense des idées suivantes qui traversent l’essentiel de son oeuvre:
Dans ses essais philosophiques Discours sur les sciences et les arts (1750) et Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau prétend que l’état primitif de l’homme porte celui-ci vers la vertu et le bonheur, car l’ignorance même du mal l’empêche de le répandre. C’est le développement de son intelligence et la recherche du luxe, de la propriété et du pouvoir, lesquels sont encouragés par les institutions sociales, qui a jeté l’homme en dehors d’un paradis possible auprès de la Nature.
- Le luxe conduit à la corruption de l’âme.
Rousseau défend aussi que c’est la notion de propriété qui est responsable du malheur de l’homme. Fondement même de la société civile et moderne, celle-ci conduira toujours l’être humain à défendre son territoire — au besoin par la violence —, pour protéger ses biens accumulés. Plus un homme possède, nous rappelle le philosophe, plus il est riche et considéré : la puissance engendre des rapports de force auxquels doivent remédier les lois qui, à leur tour et bien malgré elles, officialisent un système inégalitaire. Les besoins superflus et irréels sont, pour lui, une des causes principales de la dénaturation de la société.
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