Le personnage de Figaro + synthèse de la question du rapport valet/maître dans la comédie. ( cours de jeudi 24 février)
Le couple
maître/valet:
La Commedia
dell'arte
Scapin fait
partie des zanni (=personnages de valet) de la Commedia dell'arte, née à Venise
au XVIe siècle et qui a eu une influence considérable,
notamment sur le théâtre comique français (Molière, Marivaux, Beaumarchais). Les zanni étaient souvent mis en scène
en duo contrasté : c'est-à-dire qu'on associait un malin (ex. Scapin) et un balourd (ex. Arlequin), ce
qu'on retrouve par exemple dans le duo d'Astérix et d'Obélix.
Mais ce duo
a évolué dans le théâtre français avec Molière en couple maître/valet. ex. Dans Le Malade imaginaire, Argan, le maître malade
naïf, et Toinette, la servante astucieuse ; dans Dom Juan, c'est le maître qui est un homme d'esprit et
Sganarelle, son valet, qui est balourd.
Les Fourberies
de Scapin (1671) de Molière : Scapin appartient au groupe des valets malins de
la Commedia dell'arte : il berne les
vieillards, aide les jeunes gens et résout les problèmes comme un génie de l'intrigue, il est cupide (il se préoccupe d'argent),
provoque des bastonnades (comique de farce), il est lâche (découvert par Géronte qu'il frappait, il s'enfuit,
comme l'indique le verbe italien scappare), il est hâbleur (=beau parleur). Sans lui, il n'y a pas d'action : il
mène le jeu. Scapin est le valet par excellence.
Chez
Marivaux,les relations entre les maîtres prévalent, mais L'ïle des Esclaves place les valets au centre de l'intrigue: regardez cette video pour en savoir plus
Deux maîtres, Iphicrate et Euphrosine échouent après un naufrage dans une île gouvernée par des esclaves fugitifs. Les lois de cette nouvelle république imposent aux esclaves de devenir maîtres et aux maîtres de devenir esclaves dans un but de rééducation de ces derniers. Trivelin, responsable de l’île et garant de ses lois, explique le processus de rééducation des naufragés.
Les maîtres vont perdre leurs noms et leurs habits qu’ils doivent céder à leur valet et servante, Arlequin et Cléanthis.
Ils devront écouter le portrait cruel que feront d’eux leurs serviteurs et reconnaître sa véracité. Trivelin se retire.
L’épreuve des maîtres atteindra son paroxysme lorsque Arlequin et Cléanthis, emballés par leur nouvel état, projetteront un double mariage : le valet avec la maîtresse et la servante avec le maître.
Euphrosine bouleverse Arlequin par ses pleurs et son discours émouvant.
Les serviteurs pardonnent à leurs maîtres. Les maîtres affranchissent leurs esclaves.
Trivelin réapparaît pour consacrer cette humanité retrouvée de part et d’autre
Le théâtre dans le théâtre
Dans L’Île des esclaves, l’utopie repose sur l’inversion. Un monde renversé qui permet d’envisager d’autres possibles dans la tradition du carnaval, héritage des saturnales romaines. L’inversion est au cœur de la structure sociale de l’île. Les esclaves ont imaginé ce renversement afin de « guérir » les maîtres.
Le théâtre dans le théâtre s’impose comme le moyen idéal de présenter la satire comique mais aussi la leçon éthique.
Au coeur de la pièce, Marivaux confie à Arlequin et Cléanthis un travail de « théâtralisation du discours ».
C’est Cléanthis qui mène le jeu : « Je suis d’avis d’une chose, que nous disions qu’on nous apporte des sièges... » elle exige que « leurs gens », (leurs anciens maîtres) servent de public.« Pouvons-nous être sans eux ? C’est notre suite ; qu’ils s’éloignent seulement »
Tout est là pour une représentation théâtrale : décor, accessoires, déplacements, canevas, registre de la langue, et public. Les anciens maîtres, humiliation ultime, doivent assister à la parodie de leurs entretiens galants et apporter les fauteuils.
La parodie leur est destinée pour se moquer d’eux et les conduire à s’amender face à la vanité et à la vacuité de ces entretiens galants dénués de toute sincérité, de toute sensibilité.
La cure essentielle de l’île n’est-elle pas de faire retrouver au personnage la sensibilité et la sincérité dans les rapports humains ?
Le Mariage
de Figaro de Beaumarchais (1784)
Le duo comique est constitué d'un maître
intelligent, le comte Almaviva, et d'un valet
astucieux, Figaro. Le Mariage de Figaro est au centre d'une trilogie constituée
d'abord du
Barbier de Séville (1775) : Figaro est un barbier indépendant qui retrouve son
ancien maître à Séville et il l'aide dans son projet
de mariage avec la belle Rosine, retenue enfermée par le ridicule et vieux docteur
Bartholo. Dans cette pièce, Figaro est le maître du jeu et de l'intrigue, il
est dans la lignée de Scapin : il fait rire
aux dépens de Bartholo et aide le comte, jeune amoureux assez effacé, incapable
de se marier avec Rosine sans l'aide de Figaro.
Dans la deuxième pièce de la trilogie, celle du Mariage de Figaro (1784),
la donne et les personnages ont changé : le comte est devenu un grand seigneur rusé et
Figaro n'est plus indépendant : il est l'employé du comte qui
veut empêcher son mariage. L'enjeu n'est plus le mariage des maîtres, mais
celui des valets, le vieillard n'est plus l'obstacle, mais le maître. Le
duo du maître et du valet devient un duel : ils sont maintenant
rivaux en amour. Il arrive que Figaro remette son maître en place (ex. III, 5).
Figaro peut aussi faire varier les tons : il peut se montrer plus grave
et plus sérieux ; il prend ainsi de la distance avec son maître
lorsqu'il tient un propos sur l'humiliation et l'impact d'un mauvais traitement
sur la qualité d'une personne : il remet en cause le mépris de classe (III,
5). La tonalité plus dramatique tient donc à l'émergence d'une
contestation et d'une réflexion portée par Figaro : l'intrigue amoureuse est
dépassée par un sentiment général d'injustice, le statut de valet qui subit est
idéal pour se faire le porte-parole d'une voix pré-révolutionnaire.
D'ailleurs, toute la petite communauté du château se ligue contre le comte autour
de Figaro :le valet ne se contente plus de faire rire aux dépens d'un maître
fantoche (=inconsistant) comme le fait Scapin, il
réussit à abattre un tyran domestique à force d'intelligence et de talent. On
peut voir une remise en cause de l'ordre établi par la société dans son fameux
monologue (V, 3). Cependant, la critique sociale a une portée
limitée : les idées que Beaumarchais met sur scène lors du monologue ne sont
pas nouvelles en 1784 et, plutôt qu'un bouleversement profond et radical,
Figaro (et à travers lui Beaumarchais) réclame « sa part du gâteau »
; d'ailleurs, la critique sociale et politique se mêle à des réflexions
désabusées sur la nature humaine : le monologue de l'acte V scène 3 ressemble
plus au discours d'un moraliste qu'à celui d'un révolutionnaire.
Le personnage de valet de comédie évolue également dans cette pièce car la
maîtrise du jeu échappe à Figaro : la comtesse, aidée de Suzanne,
prend la main sur l'intrigue en montant un piège pour le comte, un
jeu de masque lors duquel les deux jeunes femmes vont échanger leurs costumes.
La comtesse déguisée en
Suzanne pourra prouver son infidélité à son époux lors d'un rendez-vous
nocturne : on peut noter que le comte se laisse prendre au piège et que le
langage ne trahit pas les jeunes femmes (contrairement au Jeu de
l'amour et du hasard). Le dimension critique de la pièce est aussi portée par
les personnages féminins :ainsi la tirade de Marceline sur la condition des
femmes (III, 16). Enfin, la préoccupation de l'argent subsiste dans cette pièce
: Figaro défend ses intérêts, secondé par Suzanne. En résumé, Figaro garde le
goût de la tromperie
(actes I et II), il reste un meneur d'intrigues (I et II) , il est léger,
insouciant (I, 1 par ex.) et conserve les caractéristiques habituelles du valet de
comédie, mais son personnage s'est approfondi, il montre parfois de
l'amertume, traverse des moments de désarroi, et son insolence est plus
vindicative (vindicatif =rancunier, porté à la vengeance).
Dans la
dernière pièce de la trilogie, un drame, La Mère coupable (1792), l'intrigue
est centrée sur Léon, le fils naturel de la comtesse et de Chérubin, mort à la
guerre. Figaro montrera une grande efficacité pour déjouer
l'intrigue et légitimer Léon aux yeux du comte. Dans cette pièce, Figaro sera
encore plus amer.
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