De l'importance de la poésie

 Jeudi dernier, je vous ai parlé de l'importance de la poésie dans les moments les plus extrêmes et les plus terribles de la vie en faisant référence au livre de Semprun L'Ecriture ou la vie que je vous recommande de lire:

Voici l'extrait où il évoque la mort du professeur Maurice Halbwachs:


Déporté à Buchenvald en 1943, Jorge Semprun mettra de nombreuses années à prendre la décision de relater son expérience. L'alternative du titre de son livre  L'Ecriture ou la vie correspond au choix difficile d'écrire après avoir vécu une expérience concentrationnaire.

"J'avais pris la main de Halbwachs qui n'avait pas eu la force d'ouvrir les yeux. J'avais senti seulement une réponse de ses doigts, une pression légère : message presque imperceptible.



Le professeur Maurice Halbwachs (1) était parvenu à la limite des résistances humaines. Il se vidait lentement de sa substance, arrivé au stade ultime de la dysenterie qui l'emportait dans la puanteur.

Un peu plus tard, alors que je lui racontais n'importe quoi, simplement pour qu'il entende le son d'une voix amie, il a ouvert les yeux. La détresse immonde, la honte de son corps en déliquescence y étaient lisibles. Mais aussi une flamme de dignité, d'humanité vaincue et inentamée. La lueur immortel d'un regard qui constate l'approche de la mort, qui sait à quoi s'en tenir, qui en a fait le tour, qui en mesure face à face les risques et les enjeux, librement : souverainement.

Alors, dans une panique soudaine, ignorant si je puis invoquer quelque Dieu pour accompagner Maurice Halbwachs, conscient de la nécesssité d'une prière, pourtant, la gorge serrée, je dis à haute voix, essayant de maîtriser celle-ci, de la timbrer comme il faut, quelques vers de Baudelaire. C'est la seule chose qui me vienne à l'esprit.

Ô mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre...

Le regard de Maurice Halbwachs devient moins flou, semble s'étonner.

Je continue de réciter. Quand j'en arrive à

... nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons, un mince frémissement s'esquisse sur les lèvres de Maurice Halbwachs. Il sourit, mourant, son regard sur moi, fraternel."

José Semprun, L'Ecriture ou la vie, éditions Gallimard, 1994

 

1) Eminent professeur de sociologie, déporté pour actes de résistance

Ô mort, vieux capitaine, il est temps...

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre ! 
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu qui nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre. Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

En savoir plus 

J'ai parlé aussi du récit de Primo Lévi qui relate le moment où deux détenus se récitent Le poème de Dante, le chant d'Ulysse: A lire ici

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