Séquence poésie: suite de l'explication du poème Contre les bûcherons de Gastine ( Mercredi 9 mars)
1. Adieu personnel à la forêt
Cette strophe apparaît comme un écho sur un mode plus lyrique de la strophe précédente. Les mêmes idées de perte de l’amour, du bonheur, de la beauté et de la vie sont cette fois mises en scène à travers l’expérience personnelle du poète.
Lyrisme voir l’inscription du "je" dans la strophe.
Ouverture
de la strophe sur le terme "adieu", répété ensuite de manière
anaphorique dans les deux strophes suivantes.
A noter que la figure de l’anaphore est souvent associée à l’expression de la
mélancolie. J. Kristeva, Starobinsky, Bachelard notamment ont montré comment la
structure même de la mélancolie était celle du ressassement, de l’obsession, de
la chose qui revient et qui ne peut sortir d’elle-même. La figure de style de
l’anaphore devient l’expression textuelle de cette douleur lancinante et
centrée sur soi.
la
forêt se présente comme l’initiatrice, le séjour des Muses, l’espace de la découverte :
anaphore de "où premier" trois fois.
se construit un jeu d’opposition entre passé et présent. Le passé c’est donc celui de la créativité, de la création, de la beauté et de l’amour.
- termes renvoyant à cette idée
de création : la référence aux muses Calliope, muse de la poésie
épique et Euterpe, muse des arts musicaux. La référence à la lyre.
La lyre est associée au personnage mythologique d’Orphée, lui-même étant la représentation symbolique de la poésie, du pouvoir du chant poétique. Pour rejoindre son Eurydice emmenée aux Enfers, il arrive à charmer Cerbère de son chant ainsi que Hadès, le dieu des Enfers, jusqu’à obtenir de ce dernier qu’il autorise sa femme à revivre sur terre.
- termes renvoyant à l’idée de l’amour : "flesches", "Apollon", "tout le coeur estonner", "amoureux", "la belle Calliope", "cent roses".
La forêt était le lieu de l’éveil artistique. Et si les vers concernant Euterpe peuvent se lire comme l’allusion à cette forêt qui fournit l’inspiration, on peut aller plus loin en interprétant l’image du lait nourricier comme l’image de la vie même qui a été donnée au poète. Le poète est né dans cette forêt, perdre la forêt, c’est perdre la vie.
Cette strophe est donc bien un écho de la strophe sur le berger, mais sur un mode plus personnel.
Deuxième
strophe du mouvement. Adieu de tous à la forêt
Cette strophe se construit à nouveau autour d’un jeu d’oppositions : entre l’aujourd’hui et l’autrefois, entre les valeurs mélioratives et les valeurs négatives.
Auttrefois-mélioratif |
Aujourd’hui - péjoratif |
vieille forêt , testes sacrées, tableaux fleurs, honorés, frais, douces verdures |
dédain, alterez, brulez, sans plus, accusent, meurtriers, injures |
Encore une fois les bûcherons sont mis en accusation, et cette fois non plus seulement par une personne unique, le poète, mais par une multitude : "les passants". Ronsard, dans son poème ne ferait alors que reprendre ces injures, être le porte-parole, le messager de l’accusation.
Cette hypothèse se vérifie d’autant plus que la troisième strophe du mouvement met bien en jeu des insultes. Mais on avait déjà vu apparaître le terme "meurdrier" dans la bouche même du poète à la strophe 3 du poème.
Troisième strophe du mouvement.
Nouveau mouvement mélancolique se basant sur la même structure d’opposition, cette fois entre le comportement de la forêt et celui des hommes, tout particulièrement des hommes abattant les forêts.
la forêt-mélioratif |
les hommes - péjoratif |
|
couronne aux vaillants citoyens, arbres de Jupiter , donnastes à repaistre, les biens receus de vous, pères nourriciers, germes dodonéens, douces verdures |
vraiment ingrats, n’ont su recognoitre, vraiment grossiers, massacrer |
La générosité première de la forêt, son association au courage et à la vie s’opposent à l’ignorance, à la violence et à la mort apportée par ces "peuples". Encore une fois, la forêt est intimement liée à la vie.
Le bilan, la portée philosophique de la destruction de la forêt, éloge de la philosophie.
La dernière strophe se présente comme une sorte de bilan, de morale au regard de cette évolution négative du monde. Le poète s’adressant à la fois aux dieux, à tout lecteur et à lui-même semble rechercher le sens de tout cela. Il invoque alors quelques philosophies antiques concevant l’univers comme toujours fait de la même matière mais d’une matière qui change de forme.
Mais cette
dernière interpellation se fait encore sur le mode mélancolique, notamment de
par sa tournure exclamative et de par la répétition de la même idée sous cinq
formes différentes
C’est finalement le malheur qui domine (le terme "malheureux"
s’inscrit dans le premier vers de la strophe), et c’est sur le terme
"perte" que le poème se finit.
Le poète a tenté de se résigner mais le poème est la trace-même de cette
incapacité à accepter le sort, la fatalité des changements du monde.
Conclusion: C’est pour une grande part par des procédés proprement poétiques (comparaison, métaphores, appel à la mythologie, lyrisme, motif mélancolique) que Ronsard parvient à développer une critique véhémente de la déforestation.
En jouant sur les postures d’énonciation, notamment en se plaçant dans une relation d’interpellation directe, Ronsard oblige le lecteur à écouter sa parole comme une parole toujours présente : formulée au présent et qui se doit de résonner. Ronsard, à travers l’image du poète investi d’une mission divine, entreprend de prolonger malgré tout la voix d’Echo qui s’est tue, de la flûte du berger et de la lyre menacée.
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