La Panthère des Neige de Sylvain Tesson (Approfondissement)
Dossier sur le film qui va sortir le 15 décembre . Il ya plein de choses à exploiter dans ce dossier pour votre carnet de lecture.
La panthère des neiges de Sylvain Tesson. Entretien
« — Il y a une bête au Tibet que je poursuis depuis six ans, dit Munier.
Elle vit sur les plateaux. Il faut de longues approches pour
l’apercevoir. J’y retourne cet hiver, je t’emmène.
— Qui est-ce ?
— La panthère des neiges, dit-il.
— Je pensais qu’elle avait disparu, dis-je.
— C’est ce qu’elle fait croire. »
Présentez-nous la panthère des neiges…
On la connaît peu et
mal. Il n’en resterait que cinq mille spécimens dans des zones
inaccessibles, du Pamir à l’Himalaya oriental et de l’Altaï au Népal.
C’est un animal adapté à la très haute altitude : on a repéré ses traces
à 6 000 mètres. Mais l’une des principales raisons pour laquelle elle
est peu connue est qu’elle est très difficile à voir : elle possède des
capacités de camouflage telles qu’on peut passer à dix mètres d’elle
sans la voir. Comme elle est lourde, massive, et s’attaque à des proies
très agiles, elle compense sa relative lenteur par ce camouflage qui lui
procure l’effet de surprise et de fulgurance indispensable pour
chasser.
Dans l’avant-propos, vous racontez l’observation avec le photographe
animalier Vincent Munier d’une troupe de blaireaux, et vous notez que
l’ancien nom du blaireau est précisément « tesson ». Une façon de dire
que l’homme est un animal parmi les autres ?
Probablement. Parmi les deux raisons qui m’ont poussé à suivre Vincent
Munier, il y a cette recherche de la part animale de soi, dont on s’est
beaucoup éloigné. Cet éloignement constitue d’ailleurs notre propre vie,
il s’appelle la culture, le langage.
Renouer avec cette part
animale, tenter de comprendre à nouveau la nature dans laquelle on se
place, était donc la première raison. La deuxième, c’est que Munier me
proposait de me comporter dans la nature comme je ne l’avais jamais
fait, en pratiquant l’art de l’affût : l’attente, la dissimulation,
l’immobilité, le silence. Un art de l’intégration, de la dissolution,
quasiment, dans le substrat. Moi qui suis dans l’agitation permanente,
je n’avais jamais éprouvé ce genre d’usage du monde.
Mais comment pratiquer cet art de l’immobilité dans un froid intense ?
Ce
qui m’a beaucoup intéressé, c’est la capacité d’abnégation absolue face
aux souffrances qu’on endure à l’affût. Ce qui ramène à l’idée que
l’objectif mental que l’on s’assigne — le nôtre était de voir apparaître
l’animal —permet d’oublier tout le reste. Ce n’est pas que
« l’intendance suivra », c’est que l’intendance ne mouftera pas !
L’intendance, ici, c’est le corps, qui va se plier absolument au désir.
Vincent Munier sait que l’animal peut venir, que la récompense est
possible. Et il tient le coup.
Lui a un but : l’image. Mais vous, vous êtes là pour quoi ?
Je suis là pour l’apparition, et je pense que j’ai éprouvé très
rapidement, en attendant la panthère, un sentiment qui relevait du
sacré. Ce n’est ni de la pensée magique, ni du chamanisme de bistro,
c’est simplement que j’étais très peu habitué à vivre dans les tensions
de l’attente et de la patience. J’ai découvert les vertus de la
patience, j’ai réalisé qu’entre l’espérance que quelque chose arrive et
le moment où cela arrive, il y a un intervalle qui se remplit de pensées
insoupçonnées, qui ne viennent jamais lorsqu’on n’attend pas.
L’affût
est antimoderne dans la mesure où il nous ramène à tout ce à quoi nos
vies modernes, hyperactives, désordonnées, chaotiques, vouées à
l’immédiateté, nous arrachent. Il nous oblige à considérer l’hypothèse
qu’on peut consacrer beaucoup de temps à attendre quelque chose qui ne
viendra peut-être jamais. À l’affût, nous sortons de l’immédiat pour
revenir à la possibilité de l’échec même.
Entretien réalisé avec Sylvain Tesson à l'occasion de la parution de La panthère des neiges
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